L’Église intérieure et la tradition secrète des mystiques

JohnofAvila

On découvre dans « Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure », le lien étroit unissant Louis-Claude de Saint-Martin à la tradition mystique

Le dernier livre de Jean-Marc Vivenza, « Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure »  qui complète son précédent «L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin », en lui apportant un élément directement liturgique opératif, possède de nombreuses qualités dont la première est d’en faire un outil d’une extraordinaire utilité pratique pour ceux qui souhaitent s’engager, concrètement, dans la voie initiatique saint-martiniste proposant un chemin vers le christianisme vécu « en esprit et en vérité » .

Mais un aspect de cet ouvrage nous est apparu comme particulièrement important : soit celui établissant le lien entre les auteurs spirituels de la tradition mystique chrétienne, et les thèses de Louis-Claude de Saint-Martin portant sur l’Église intérieure.

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Et ce que l’on découvre dans « Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure », pour notre plus grande surprise, c’est que des thèses très voisines de celles du Philosophe Inconnu, furent soutenues par des religieux rattachés à des congrégations comme l’Ordre des Carmes ou les capucins Récollets.

Pierre Poiret

Pierre Poiret (1646-1719)

Cette tradition mystique qui fut marginalisée, pour ne pas dire parfois combattue au sein de l’Église visible, très vite trouva des défenseurs auprès des figures de la résistance spirituelle, comme Pierre Poiret (1646-1719), calviniste messin marqué par les écrits du Ménnonite Hendrik van Barneveld Jansz (1665-1734), ardent défenseur de la cause de l’oraison mystique.

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La voie de « l’expérience de la présence de Dieu » dans l’âme, est un préalable à la célébration du culte « en esprit ».

Dans « Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure » Jean-Marc Vivenza aborde longuement le cas de l’humble carme parisien, Frère Laurent de la Résurrection (1614-1691), qui au XVIIe siècle fit de l’adoration de Dieu « en esprit et en vérité », le centre de sa vie spirituelle, parvenant à atteindre un état de perpétuelle union avec le divin.

 « Son expérience, écrit Jean-Marc Vivenza, fut résumée dans ses « Maximes spirituelles » en 1692, suivie des « Mœurs et entretiens du frère Laurent de la Résurrection » en 1694, textes qui lui valurent une large audience de par le caractère extrêmement élevé, quoique participant d’une remarquable simplicité, de la méthode d’oraison préconisée par le carme qui vivait, en son quotidien et dans ses humbles tâches conventuelles, empli de lumières surnaturelles. (…) cette voie est un préalable à la célébration du culte « en esprit », de « l’expérience de la présence de Dieu »

Dans cette idée que l’expérience de la « Présence de Dieu » soit un « préalable à la célébration du culte « en esprit » à laquelle nous invite Saint-Martin, le livre de Jean-Marc Vivenza nous en expose la réalité en se penchant sur un courant assez méconnu, l’Ordre des frères mineurs recueillis, membres de la tendance dite « observante » des franciscains.

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 L’Ordo fratrum minorum recollectorum, (l’Ordre des frères mineurs recueillis), membres de la tendance « observante » des franciscains, invitait à une pratique visant à s’établir, en ouvrant son cœur, dans l’intimité de Dieu.

C’est ainsi que l’on découvre, grâce au  « Culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure », ce lien étroit, montrant que Saint-Martin s’inscrit incontestablement dans le sillage de la tradition secrète des mystiques : « un religieux Récollet de la dernière moitié du XVIIe, Maximien de Bernezay, dont on ne sait à peu près rien de la vie étant demeuré dans un parfait anonymat, écrivit un « Traité de la vie intérieure » (1685) qui bénéficia d’une large audience auprès des âmes dévotes, diffusant auprès des fidèles une pratique qui invitait à s’établir, en ouvrant son cœur, dans l’intimité de Dieu. Les Frères mineurs récollets (ou simplement: les Récollets), ceci afin de mieux situer Bernezay, étaient rattachés à l’Ordo fratrum minorum recollectorum, c’est-à-dire l’Ordre des frères mineurs recueillis, membres de la tendance dite « observante » des franciscains. Adeptes de la pratique du « Chemin de Croix », les Récollets érigèrent de nombreux lieux de prière, dont le calvaire des Récollets de Romans-sur-Isère dans la Drôme, qui offre à contempler une réplique exacte des quarante stations du chemin de Croix suivi par le Christ à Jérusalem, permettant au pèlerin d’aboutir, à la fin des stations, au calvaire et à une reconstitution du Saint-Sépulcre. » [1]

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Le Philosophe Inconnu a su conjuguer avec un art extraordinaire, « doctrine initiatique de la réintégration » et voie de la « contemplation intérieure ».

[youtube:https://www.youtube.com/watch?v=VHZXsjgPj0c%5D

L’Église invisible pour Louis-Claude de Saint-Martin

Extrait tiré du site http://www.baglis.tv/ d’un interview intitulé : « L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint Martin » avec Jean-Marc Vivenza, une interview de Jean Solis.

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Une intuition magnifique dans « Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure »montre ce lien de la tradition mystique avec Louis-Claude de Saint-Martin, nous faisant comprendre que le Philosophe Inconnu a su conjuguer avec un extraordinaire sens de la vie spirituelle, doctrine initiatique de la réintégration et voie de la contemplation intérieure  : « « Les Récollets, qui sont nés des communautés où les « récollections au désert  – ce dernier pouvant d’ailleurs être établi au cœur même des villes -, devinrent le centre d’une intense activité religieuse, participent d’un courant mystique dont le capucin Benoît de Canfield (1562-1611), auteur d’une Règle de perfection (1608) et adepte de la spiritualité abstraite de l’anéantissement, est l’un des représentants majeurs, courant dans lequel s’inscrivent des noms comme Jean de Bernières (1602-1659), ou le tertiaire Jean Aumont (1608-1689), auteur de « L’Ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs » (1660), ainsi que Victorin Aubertin (1604-1669), qui publia « Le Chrétien uni à Jésus-Christ au fond du cœur » (1667), ouvrage dans lequel est décrite, avec une extraordinaire précision, la vie de l’oraison ; citons encore Éloy Hardouin de Saint-Jacques (+1661), rédacteur d’une « Conduite d’une âme dans l’oraison depuis les premiers jusques aux plus sublimes degrés » (1662), sans oublier le « Jour mystique » de Pierre de Poitiers (+ 1683), texte publié en 1671, exposant l’ensemble des nuances de la « lumière intérieure » auquel se référa dans ses « Justifications » Madame Guyon (1648-1717), ainsi que, bien évidemment, Constantin de Barbanson (1582-1631) et ses « Secrets sentiers de l’esprit divin » (1623) aux accents métaphysiques remarquables, à quoi il faut ajouter « Le Royaume de Dieu dans l’âme » de Jean-Evangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635), publié en flamand en 1637, livre qui lui mérita le surnom, largement mérité, de « Jean de la Croix flamand », de même qu’Alexandrin de La Ciotat (+1706), capucin, auteur du « Parfait dénuement » (1680). » [2]

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Un point est mis en lumière : « Archange de Pembroke (1567-1632) devint le directeur, de 1609 à 1620, de la Mère Angélique Arnauld (1591-1661), abbesse et réformatrice de Port-Royal qui fut « convertie » par le sermon que le capucin vint prêcher au monastère en 1608, la décidant à appliquer la Règle de son Ordre dans toute sa rigueur. » [3]

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Ce à quoi, il faut rajouter l’influence du Père Joseph du Tremblay (1577-1738) « en tant que diplomate au service de Richelieu, prédicateur itinérant conseiller d’Antoinette d’Orléans (1572-1618), religieuse de Fontevraud, qui décida de la création en 1617 de l’Ordre des Filles du Calvaire dont il rédigea le livre des méditations pieuses à leur intention. »

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Ainsi, sur cet aspect des choses Jean-Marc Vivenza souligne : «On mesure l’influence de la mystique intérieure liée aux différentes branches, issues ou rattachées, à l’Ordre de saint François au XVIIe siècle, et qui contribuèrent au développement de cette spiritualité de la « vie secrète d’oraison », précisant : « L’idée de « vie intérieure », et même « d’Église du cœur », n’est évidemment pas propre au courant illuministe puisqu’elle traverse l’histoire de la spiritualité chrétienne. Cette sensibilité a cependant trouvé au XVIIe siècle, un étonnement rayonnement, en particulier à la proximité de certaines tendances religieuses plus connues sous les désignations de « quiétisme » ou « jansénisme » qui, en pieux « amis de la vérité », conservèrent l’esprit et la doctrine originelle du christianisme primitif. Mais, le fait est à noter, y compris au sein de l’Église institutionnelle, on relève des expressions fortement influencées par les thématiques que l’on retrouvera ensuite au sein des milieux quiétistes, jansénistes ou initiatiques, sans doute en ayant trouvé en leurs cénacles des abris protecteurs pour des conceptions combattues par les autorités politiques et religieuses de cette époque. » [4]

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 « C’est au sein des cercles protégés par une règle de discrétion et de secret, que se préserva et se transmis, la « pratique de la vie intérieure » et la  « vie cachée en Dieu dans l’oraison », au sein de petites églises éloignées du monde ou dans le cadre des milieux illuministes dont Saint-Martin fut, en France, le représentant par excellence. »

La conclusion de Jean-Marc Vivenza, à propos de cette mise en parallèle du courant mystique et de la voie de l’illuminisme à l’intérieur de son ouvrage « Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure », est remarquable, et nous permet de mieux comprendre ce qui unit secrètement, voie mystique et illuminisme initiatique : « Malheureusement, de par une campagne anti-mystique assez virulente contre les « quiétistes », qui n’eut d’égale que celle menée contre les thèses sur la gratuité de la grâce défendues par le courant augustinien et le milieu de Port-Royal, qui ira jusqu’à la dispersion des Solitaires en 1679, il advint bientôt une sorte de retour à l’invisibilité du courant de la mystique abstraite, période qui fut désignée comme représentant un véritable « crépuscule ». Il n’est donc pas interdit de penser, qu’à partir du XVIIIe siècle, c’est au sein des cercles protégés par une sorte de règle de discrétion et de secret, que se préserva et se transmis, la « pratique de la vie intérieure » et la  « vie cachée en Dieu dans l’oraison », ceci au sein de petites églises éloignées du monde ou dans le cadre des milieux illuministes nourris des écrits de Fénelon (1651-1715) et de Madame Guyon, dont Saint-Martin fut, en France, le représentant par excellence, ce qui aura permis, et il faut leur en être infiniment reconnaissant, que puisse perdurer une voie spirituelle qui, sans cela, aurait très certainement entièrement disparu. » [5]

On mesure donc à la lecture de ces lignes, dont il faut vivement remercier Jean-Marc Vivenza en raison de leur richesse analytique, documentaire et historique, ce que représenta véritablement au XVIIIe siècle la voie de « L’Église intérieure » proposée par Louis-Claude de Saint-Martin, apparaissant d’ailleurs comme la continuité encore vivante de nos jours, de la tradition illuministe et mystique de la  « vie cachée en Dieu».

 Notes.

1 J.-M. Vivenza, Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure, La Pierre Philosophale, 2014, pp. 157-158.

2. Ibid.

3. Ibid.

4. Ibid., p. 157.

5. Ibid., pp. 158-159.

Le culte en esprit de l'Eglise intérieure

J.-M. Vivenza, Le culte ‘‘en esprit’ de L’Église intérieure,

La Pierre Philosophale, octobre 2014, 262 pages. 

Origène et la doctrine secrète des initiés connue jusqu’au VIe siècle

Origène

L’enseignement secret de la doctrine théosophique,

possède un lien intime avec la pensée d’Origène (IIIe s.).

Les théosophes au XVIIIe siècle, se référèrent à un enseignement participant d’un christianisme non-dogmatique, qualifié pour cela de « transcendant », car relevant de thèses secrètes et le plus souvent oubliées, qui firent l’objet de condamnations de la part des conciles de l’Eglise.

Jean-Baptise Willermoz (1730-1824), ira jusqu’à signaler dans une Instruction du Régime écossais rectifié :

« Les Loges qui reçurent [l’initiation parfaite] conservèrent jusqu’au VIe siècle ces précieuses connaissances, et le refroidissement de la foi annonce assez qu’à cette époque le souvenir s’en est affaibli, et que ce qu’il restait d’initiés se retirèrent dans le secret. Mais aussi on doit croire que ces connaissances se sont perpétuées sans interruption pendant tous les siècles du monde car tous les ouvrages que Dieu a créés demeurent à perpétuité et nous ne pouvons rien ôter à tout ce que Dieu a fait. Ce qui a été est encore, ce qui doit être a déjà été, et Dieu rappelle le passé. » [1]

Cette conviction d’un enseignement perdu et oublié, était partagée par les disciples de Martinès de Pasqually, dont évidemment Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803).

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« Le cœur divin s’est transmué en Homme-Esprit. » 

(Louis-Claude de Saint-Martin, Le ministère de l’homme-esprit).

C’est ce qui fait dire à Jean-Marc Vivenza, dans son dernier ouvrage :

« Le paradoxe pour Saint-Martin, c’est que ce qu’oubliaient les Pères de l’Église, et qu’ils allaient bientôt rejeter au nom d’un dogme que l’on fixerait définitivement lors des différents conciles, n’était rien d’autre que l’enseignement du christianisme originel, c’est-à-dire, les vérités qui avaient été révélées lors des premières années de la primitive Église, et que la chrétienté, peu à peu, finissait par regarder comme des erreurs. Cet enseignement possédait, et conserve, comme en ses premiers instants, un lien intime avec l’Évangile, il en éclaire de nombreux points obscurs et est issu de la volonté divine, dès après la Chute, de confier à l’homme une voie pour sa réhabilitation, volonté que Saint-Martin désigne comme participant d’un  « mouvement même qui s’est fait dans le cœur de Dieu, à l’instant de notre chute pour la restauration de l’espèce humaine, mouvement par lequel ce cœur divin s’est transmué en Homme-Esprit. » (Le ministère de l’homme-esprit). » [2]

L’intérêt de la recherche actuelle de Jean-Marc Vivenza sur ce point, provient du fait qu’il porte à la lumière d’une façon renouvelée, les sources de l’enseignement secret, de la doctrine intérieure du courant théosophique, en montrant leur lien intime avec la pensée d’Origène (IIIe s.).

Extrait tiré du site http://www.baglis.tv/ et d’une table ronde intitulée

« Illuminisme mystique et christianisme transcendant »

avec Jean-Marc Vivenza et Roger Dachez, animation Jean Solis. 

Isaac le Ninive

« Meilleur est celui à qui il a été donné de se voir lui-même,

que celui à qui il a été donné de voir les anges,

car on voit ces derniers avec les yeux du corps,

alors que l’on se voit avec les yeux de l’âme. » 

ISAAC DE NINIVE, Traités religieux, philosophiques et moraux (VIIe siècle)

par Ibn As-Salt (IXe siècle). Sbath, Paul, ed., Cairo: Al-Chark, 1934.

Et ce lien, entre enseignement secret du christianisme primitif et illuminisme chrétien du XVIIIe siècle, permet d’expliquer la raison de cette référence au VIe siècle chez Willermoz, comme période où la situation a basculé. Où ce qui était connu, est devenu interdit, condamné, contraint à se cacher, étant préservé par les voies initiatiques.

Voici ce qu’explique Jean-Marc Vivenza, qu’il faut lire attentivement, car il résume dans ce passage, qui est une note, l’essentiel de ce qui est à comprendre de ce qui se joue, c’est-à-dire de ce qui est en jeu aujourd’hui au sein des structures initiatiques, à savoir la préservation de la doctrine, ou sa disparition au profit de conceptions étrangères et hostiles aux voies spirituelles telles qu’elles furent constituées par leurs fondateurs au XVIIIe siècle :

« Ce christianisme original professé par Saint-Martin, fondé sur la doctrine secrète de la réintégration des êtres condamnée officiellement depuis le VIe siècle lors du IIe Concile de Constantinople (556) – et dont Origène (185-253), puis Évagre le Pontique (345-399), ou encore Isaac de Ninive (VIIe s.) et Joseph Hazzaya (VIIIe s.), exposèrent les principes, principes qui se retrouvèrent au XVIIIe siècle au sein du riche courant de l’illuminisme chrétien jusqu’à devenir le cœur même de deux systèmes initiatiques auxquels fut lié Louis-Claude de Saint-Martin (l’Ordre des élus coëns et le Régime écossais rectifié) – redisons-le encore une fois car les mêmes menaces, aujourd’hui comme au VIe siècle, pèsent sur elle, n’a pas à se plier aux vues disciplinaires de l’Église visible, elle n’a pas, cette doctrine séculaire, à être corrigée, redressée ou amendée, prétendument « enrichie » pour la faire « progresser », ce qui est en réalité une profonde déformation et scandaleuse dénaturation, afin de la faire correspondre aux schémas dogmatiques arrêtés par les Pères conciliaires, de sorte,  au final, de la dissoudre et la faire disparaître sous de fallacieux prétextes, et surtout en vertu de l’autorité arbitraire et subjective d’un tribunal autoproclamé, surgi d’on ne sait où, dénué de toutes qualifications légitimes pour agir en ce sens – et qui a pu même réussir à s’introduire, ce qui est un signe notable de « contre-tradition » et « d’extériorisation profane », dans le sens concret où l’entendait René Guénon (1886-1951), jusque dans certaines structures à prétentions initiatiques -, dans l’eau des proclamations ecclésiales. Elle possède cette doctrine, ses critères propres, et doit être protégée, conservée dans sa pureté, et gardée en conformité d’avec son essence intrinsèque, ce qui d’ailleurs, ce rappel s’imposant visiblement à de nombreux esprits oublieux à qui d’ailleurs sont étrangers ces domaines – ceci expliquant sans doute cela -, est le devoir d’une classe « non ostensible » du Régime rectifié à laquelle Jean-Baptiste Willermoz confia, précisément, cette mission : « La forme de cette Instruction a quelquefois varié selon les temps et les circonstances, mais le fond, qui est invariable,  est toujours resté le même. Recevez-la donc avec un juste sentiment de reconnaissance et méditez-en la doctrine sans préjugé avec ce respect religieux que l’homme dignement préparé peut devoir à ce qui l’instruit et l’éclaire.» (J.-B. Willermoz, Statuts et Règlement de l’Ordre des Grands Profès, Ms 5.475, BM Lyon). » [3]

Nous ne saurions trop souscrire à ces mises en garde et à ce rappel vital : les menaces, sous un visage différent car il n’est plus celui des périodes précédentes de l’Histoire, mais comme au VIe siècle, pèsent sur la « sainte doctrine ». Et cette doctrine n’a pas à se plier aux vues dogmatiques de l’Église visible. Elle n’a pas à être contrariée, contestée ou prétendument « enrichie », dans une volonté de déformation et dénaturation, afin de la faire correspondre aux vues dogmatiques.

Pope II

Le loup s’est introduit dans la bergerie,

et c’est du sein même de certaines structures que provient une menace,

qui n’hésite plus à appeler à « contester la doctrine de l’Ordre »,

au motif de sa distance d’avec les dogmes de l’Eglise…

Mais ce qui est nouveau à présent, c’est que le loup s’est introduit dans la bergerie, et si auparavant l’Eglise lançait ses anathèmes contre les voies initiatiques de « l’extérieur », aujourd’hui, c’est du sein même de certaines structures – qui ne peuvent plus prétendre au titre « d’initiatiques » – que provient une menace, qui n’hésite plus, ouvertement, à appeler, dans une dérive religieuse sectaire, à « amender, opposer, contrarier, enrichir, et contester la doctrine de l’Ordre » (sic), au motif de sa distance d’avec les dogmes de l’Eglise…

Si l’on sait que, précisément, les voies initiatiques furent constituées au cour des âges, pour protéger un dépôt doctrinal menacé par l’autorité ecclésiale, il est du devoir de chaque âme de désir de s’opposer à cette « contre-tradition », à cette tendance dérivant vers « l’extériorisation profane », dans le sens où l’entendait René Guénon, car il en va du devenir de la perspective métaphysique de la réintégration !

Notes.

1. Instruction pour la réception des Frères Ecuyers Novices de l’Ordre Bienfaisant des Chevaliers Maçons de la Cité Sainte (Rituel d’Ecuyer-novice , 1808).

2. J.-M. Vivenza, L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, La Pierre Philosophale, 2013, pp. 120-121.

3. Ibid., note 81, p. 122.

L'EGLISE ET LE SACERDOCE SELON SAINT-MARTIN

 L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin

 La Pierre Philosophale, 2013.

Lire :

La doctrine de la réintégration des êtres

 

Phénix

Pour un retour à la pensée d’Origène ou : 

« La Sainte Doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous »

 

 

L’erreur de Robert Amadou : Saint-Martin n’a pas manqué de « l’Orient chrétien » !

SM et l'Eglise XXV

La sortie du livre : « L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin », représente un événement. Cet ouvrage, par sa dimension certes et elle est imposante, mais surtout par son contenu, peut difficilement faire l’objet d’une simple recension.

Ce n’est pas un livre habituel, le genre de volume qu’on lit rapidement et puis qu’on range, en l’oubliant, sur les rayons de sa bibliothèque. C’est un authentique bréviaire de l’Eglise intérieure. Il comporte même une « Règle » pour savoir comment vivre selon la loi de l’interne. C’est tout dire.

Nous avons donc décidé, non pas d’évoquer ce livre en un article, mais de nous pencher au cours de différents éclairages, sur certaines questions soulevées dans les 554 pages de « L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin », en les abordant les unes après les autres.

I. « La science de l’Orient chrétien » n’a pas manqué à Saint-Martin. »

Robert Amadou II

« Saint-Martin est tombé dans l’erreur des pseudo-gnostiques….

il a spiritualisé de manière illusoire les sacrements…

l’initiation par l’interne risque de devenir mythique

faute de s’ancrer dans l’externe…. »

(Robert Amadou, La Révolution du Philosophe Inconnu, 1989).

 

Aujourd’hui nous débuterons cet examen, en nous arrêtant à une affirmation constituant un chapitre intitulé : « La science de l’Orient chrétien » n’a pas manqué à Saint-Martin. » (pp. 73-86). 

Pourquoi Jean-Marc Vivenza affirme-t-il ceci ?

Tout simplement parce que depuis un bon nombre d’années, on s’était résolu, pour expliquer la distance de Saint-Martin d’avec l’Eglise visible et ses sacrements, de considérer que si le Philosophe Inconnu avait pu connaître à son époque les formes religieuses de l’orthodoxie, il aurait peut-être changé d’avis…On s’était habitué à cette assertion, on n’y prenait même plus garde, on la considérait recevable.

Pourtant, par ce qui se trouve dans les pages de L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin,  un coup d’arrêt brutal vient de mettre fin à cette idée ! En effet, avec ce qui est révélé par Jean-Marc Vivenza, c’est le genre d’affirmation que l’on ne pourra plus soutenir.

On va comprendre pourquoi et ça risque de surprendre.

II. Le stupéfiant discours dogmatique et ecclésial de Robert Amadou

Dans un article, exhumé par Jean-Marc Vivenza : « La Révolution du Philosophe Inconnu », publié par Robert Amadou (1924-2006), ce dernier soutenait : « Saint-Martin méconnaît la pleine essence de la communauté chrétienne et du sacerdoce. L’Eglise n’est pas un complément, encore moins un complément facultatif ; elle expose, elle exprime le Christ dans sa plénitude et l’univers lui est donc associé, auquel elle deviendra co-extensive. Mais l’Eglise n’est pas non plus une réalité purement spirituelle ; il y a du matériel dans les sacrements et des hommes sont chargés par l’Eglise, d’ordre divin, de les administrer : ‘‘Le Père, le Fils et le Saint Esprit agissent tandis que le prêtre prête sa langue et étend ses mains.’’ (Saint Jean Chrysostome). Saint-Martin là-dessus fait schisme. » [1] 

Le constat était juste.

La suite de l’article d’Amadou est plus problématique : « A la fois la matière est mauvaise et tout l’univers promit à la transfiguration ; à la fois, dirait-on, il est optimiste et pessimiste. Mais, tout ce qui relève de l’externe, et donc de la matière, il le juge facultatif, et donc dangereux, superflu : Quand Martines de Pasqually lui dit : ‘‘il faut bien se contenter de ce qu’on a’’, il ne convainc point le jeune élu coën de la nécessité des opérations de théurgie cérémonielle. Et le pur désir de Saint-Martin, dont je ne séparerai pas des mobiles personnels, le porte à proscrire dans la foulée les sacrements de l’Eglise, ou du moins leur ôter leur caractère divin et obligatoire, et à les priver, par conséquent, de leur vertu – toute puissante. Un même désir en partie dévoyé, oserai-je dire vers l’angélisme, en l’espèce, ou vers un gnosticisme hétérodoxe ? – le conduit à ne pouvoir imaginer les prêtres que comme des hommes-esprit, tous, capables d’opérer des miracles, et ce serait là le signe de leur élection, ainsi qu’il en irait avec les poètes. Point d’ordination, en somme, sans élection prophétique. Le spectacle de prêtres indignes confirma cette exigence abusive, qu’elle avait peut être contribué à susciter par réaction. (…) » [2] 

Anges célestes

« Un même désir en partie dévoyé,

oserai-je dire vers l’angélisme…. »

(Robert Amadou, 1989).

III. Pour Robert Amadou Saint-Martin est « tombé » dans « l’erreur des pseudo-gnostiques » (sic !) 

Vivenza s’étonne : « L’analyse, qui ne manque déjà pas en ces première lignes de dénoncer sous forme interrogative, au rang des causes aggravantes qui firent adopter à Saint-Martin ses positions,  tour à tour  un « désir dévoyé », « l’angélisme » et même la tendance au « gnosticisme hétérodoxe », se poursuit ainsi, mais cette fois-ci sur un mode affirmatif :  « Il parait bien que Saint-Martin est tombé dans l’erreur des pseudo-gnostiques, en spiritualisant de manière illusoire les sacrements : le baptême et l’eucharistie, dans l’Homme de désir, et surtout dans le Nouvel homme, sont privés de matière et de forme au sens scolastique ; ils perdent leur forme, au sens de Saint-Martin, à qui nul n’apprit que celle-ci était inhérente aux mystères, puisque ceux-ci sont mystériques, c’est-à-dire rituels, autant que mystérieux, c’est-à-dire porteurs d’énergie divine. Sans dénier (pas davantage d’ailleurs que les gnostiques combattus par les Pères de l’Eglise) son rôle capital à l’Incarnation, aussi réparatrice qu’instructive, Saint-Martin cantonne, pour ainsi dire, son historicisme, et l’initiation par l’interne risque de devenir mythique faute de s’ancrer dans l’externe (et sauf la toute puissance gracieuse de Dieu). Avec l’Eglise visible et historique, Saint-Martin écarte les sacrements, et les prêtres ; n’essayons pas de supputer si ce triple rejet se distribue logiquement et, en ce cas, comment. Il est vrai que l’attrait de Saint-Martin pour l’interne, follement divin, n’en souffrait pas moins de quelque aberration humaine, et, d’autre part, qu’il détestait la plupart des prêtres de son temps.» [3]

Nous avons bien lu ?!

Pour Robert Amadou : « Saint-Martin est tombé dans l’erreur des pseudo-gnostiques », il a, toujours selon Amadou : « spiritualisé de manière illusoire les sacrements », sans compter que pour faire bonne mesure le même Amadou rajoute : : « nul ne lui a apprit que [la forme] était inhérente aux mystères », insistant plus encore pour affirmer que :  « l’initiation par l’interne risque de devenir mythique faute de s’ancrer dans l’externe », enfin, comble de tout, son «attrait pour l’interne…n’en souffrait pas moins de quelque aberration humaine ».

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«L’attrait de Saint-Martin pour l’interne…

n’en souffrait pas moins de quelque aberration humaine  ».

(Robert Amadou, La Révolution du Philosophe Inconnu, 1989).

Incroyable, ce discours est absolument stupéfiant !

Voici donc comment furent jugées les positions de Saint-Martin à l’égard de l’Eglise et de ses sacrements, par Robert Amadou, et comme le dit avec un étonnement Vivenza, faisant évidemment allusion au Portrait historique et philosophique écrit par Saint-Martin : « Tout ceci constitue donc, on l’avouera, un curieux ‘‘Portait ‘’. »[4]

IV. Une totale incompréhension de la part de Robert Amadou, des positions extra-ecclésiales de Louis-Claude de Saint-Martin

Eh bien oui, curieux Portrait, mais surtout si distant de ce que Saint-Martin soutenait, si manifeste de l’incompréhension de ce qu’était la pensée du Philosophe Inconnu ; Vivenza écrit, rappelant les bases de cette pensée : «  Difficile d’être plus en contradiction avec les convictions de Saint-Martin, qui part du principe, en accord avec les auteurs réformés, piétistes et illuministes, que depuis le Christ, il n’y a plus de sacerdoce réservé à une classe de croyants, mais que ce sacerdoce, non transmissible par un biais humain et institutionnel, a aboli complètement le sacerdoce tel qu’il était compris selon les conceptions de l’Ancien Testament. ; le voile du temple s’est déchiré depuis le haut jusqu’en bas (Matthieu XXVII, 51), voile devant lequel se tenait le clergé hébreu, et derrière lequel Dieu demeurait caché et inaccessible, faisant que désormais, chaque âme peut entrer là où nul sacrificateur ne pouvait entrer sous l’ancienne loi, sauf le grand sacrificateur une fois l’an, et elle a, et toutes ont avec elle : « une pleine liberté pour entrer dans les lieux saints par le sang de Jésus, par le chemin nouveau et vivant qu’il nous a consacré à travers le voile, c’est-à-dire sa chair» (Hébreux X, 19-20). » [5]

Et ce qui devait advenir advint dans le raisonnement d’Amadou. Rejetant, ou ignorant volontairement, les positions extra-ecclésiales de illuminisme chrétien, il affirmait : « Tout en déplorant que la providentielle intuition du Philosophe Inconnu, qui lui avait permis de retrouver la doctrine paulinienne, patristique, orientale, du nouvel homme, ne lui ait pas restitué l’exacte doctrine, qui complète, de l’Eglise, des sacrements et du sacerdoce, comprenons sa protestation contre une certaine conception occidentale du sacerdoce, des sacrements, de l’Eglise. (…) Un fois de plus, la science de l’Orient chrétien a manqué à Saint-Martin.  Quant à Saint-Martin lui-même, au Louis-Claude enfant de Dieu, quoiqu’il lui manquât pour être chrétien régulier – d’appartenir à l’Eglise dont l’aspect visible est inaliénable, il fut homme de désir. Le reste est le secret de Dieu et du Philosophe Inconnu[6]

Oui, nous nous ne rêvons pas….non seulement Robert Amadou considérait que l’intuition de Saint-Martin était dépourvue de « l’exacte doctrine sacramentelle et sacerdotale », mais plus grave, et sans doute extraordinairement injuste, pour Amadou,  « il manquât [à Saint-Martin] pour être chrétien régulier – d’appartenir à l’Eglise dont l’aspect visible est inaliénable. »

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« Il manquât [à Saint-Martin] pour être chrétien régulier –

d’appartenir à l’Eglise dont l’aspect visible est inaliénable. »

(Robert Amadou, La Révolution du Philosophe Inconnu, 1989).

Comment ? Saint-Martin n’aurait pas été un « chrétien régulier », il n’aurait pas appartenu à l’Eglise éternelle, lui le témoin de la Lumière et du Verbe !

Et il ne l’aurait pas été, car ayant soutenu, à la suite des piétistes et des disciples de Jacob Boehme, des positions qui heurtent de plein fouet les vues étroites de ceux qui considèrent qu’il n’y a « point de salut » hors des formes et structures de l’Eglise institutionnelle !

C’est invraisemblable, proprement ahurissant, d’un sectarisme total !

V. L’origine de la thèse erronée de Robert Amadou et de ses disciples … sur le prétendu « manque » de la « science de l’Orient chrétien » dont aurait soi-disant souffert Saint-Martin

Jean-Marc Vivenza nous dit donc en conséquence : « La conclusion de cette étude de Robert Amadou (…) est stupéfiante, puisqu’elle va jusqu’à lui refuser, de par sa distance d’avec l’Église visible, d’être un « chrétien régulier », comme si la « règle », pour être considéré comme « chrétien », était, non pas d’avoir, et avant tout, rencontré le Christ et d’avoir foi en Lui et en sa Parole, mais d’être membre d’une confession religieuse établie (…). On l’admettra, ces lignes sont troublantes, et on pourrait expliquer bien des aspects « surprenants » de la vie initiatique contemporaine découlant directement de ces analyses. » [7]

Ainsi, étant vu comme « un chrétien irrégulier », et même  considéré comme se trouvant « hors de l’Eglise », la conclusion s’imposait pour une sensibilité ecclésiale, qu’incarnait Amadou, dérangé et contrarié par de telles positions : Saint-Martin n’aurait pas tenu ces propos s’il avait connu l’église d’Orient, et de ce fait, « la science de l’Orient chrétien a manqué à Saint-Martin ».

Voilà l’origine d’une thèse fallacieuse – « expliquant bien des aspects « surprenants » de la vie initiatique contemporaine découlant directement de ces analyses » – et qui faute d’avoir été en mesure d’admettre et respecter les sources et les influences de Saint-Martin, lui fait reproche d’une imaginaire « ignorance » de l’Orient chrétien.

Conclusion

La conclusion de Vivenza, au sujet de ce « manque imaginaire », est de ce fait on ne peut plus juste : « C’est pourquoi, redisons-le car il importe d’y insister, cet angle d’approche s’appuyant sur des vues personnelles issues de convictions ecclésiales, est inefficace pour aborder la pensée de Saint-Martin, il empêche catégoriquement ceux qui pourraient lui accorder un quelconque crédit, de pénétrer en vérité dans l’enseignement que dispensa le Philosophe Inconnu, ce qui explique pourquoi il était devenu nécessaire de tenter de rétablir, dans toute son ampleur et son exacte portée et effective dimension, l’authentique position spirituelle du Philosophe Inconnu dans son rapport à l’Église et au sacerdoce, qui ne participe en rien de « l’ignorance » ou du « manque » d’une « science » qui proviendrait d’Orient, mais d’une méditation approfondie, réfléchie et pensée en conscience, invitant au dépassement des formes institutionnelles de sorte de retrouver ce que furent les mystères connus et partagés par les âmes qui vécurent au temps du christianisme primitif, et de ce à quoi peut permettre accéder, comme régions essentielles et ineffables, l’enseignement de l’Évangile, et la sainte doctrine qui en découle. » [8]

*

Remercions Jean-Marc Vivenza pour cet important travail de « rétablissement » de l’authentique pensée spirituelle du Philosophe Inconnu par rapport à l’Église et au sacerdoce qu’il vient d’effectuer, car ce rétablissement nécessaire s’imposait……et il était, comme on le constate, grand temps !

L'EGLISE ET LE SACERDOCE SELON SAINT-MARTIN

J.-M. Vivenza, L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin,

 La Pierre Philosophale, 2013.

 

Notes.

1. R. Amadou, La Révolution du Philosophe Inconnu, Autre Monde, n°119, septembre 1989, pp. 19-20.

2. Ibid., p. 20

3. J.-M. Vivenza, L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, La Pierre Philosophale, 2013, pp. 76-77.

4. Ibid., p. 77.

5. Ibid., pp. 77-78.

6. R. Amadou, La Révolution du Philosophe Inconnu, op.cit., p. 20.

7. J.-M. Vivenza, L’Eglise et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, op. cit., pp. 78-80.

8. Ibid., p. 84.

Saint-Martin n’a pas besoin de messe pour célébrer sa mémoire !

Saint-Martin

Dans un récent article de présentation de son livre : « L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin », Jean-Marc Vivenza avance une thèse très pertinente, qu’il avait déjà exposée dans son ouvrage «Le Martinisme » (2006), à savoir : « Saint-Martin n’ignorait ni ce qu’est l’Église, ni ce que sont les sacrements, son refus d’une médiation de l’institution ecclésiale dans la relation entre Dieu et l’homme, participe d’une distance critique d’avec toutes les formes sacerdotales communes aux confessions chrétiennes possédant un clergé à qui est réservé la célébration du culte divin. » [1].

Rembrandt-Pelerins-Emmaus-Gravure-1654« Saint-Martin n’ignorait ni ce qu’est l’Église, ni ce que sont les sacrements… »

Cette position, Saint-Martin eut souvent l’occasion de l’exprimer, il en fit même l’objet de longs développements dans ses principaux ouvrages (Ecce Homo, L’Homme de désir, le Nouvel homme, le Ministère de l’homme-esprit, etc.). Il n’en varia jamais. Pour lui, les cérémonies externes ne sont pas simplement impuissantes pour l’avancement de l’âme, elles ont en plus pour effet de retarder l’esprit de l’homme et vont jusqu’à le dessécher, alors que les créatures sont en devoir d’espérer des nourritures substantielles d’un tout autre ordre pour les conduire vers le Ciel.

Il résumait ainsi sa pensée : « Quand on voit les célébrants dans les églises consumer leur temps et toute leur virtualité à des cérémonies externes et impuissantes, et retarder ainsi l’esprit de l’homme qui se dessèche en attendant une nourriture substantielle, on est affligé jusqu’au fond du cœur, et on est tenté d’appliquer là le passage de l’Évangile où un aveugle conduit l’autre, et où ils tombent tous les deux dans le fossé. » (Portrait, 731).

Il est donc évident pour lui que les sacrements de l’Église sont inutiles pour conduire à la « grande affaire », celle qui consiste dans l’union de l’âme et de Dieu, et peuvent même représenter une barrière, un obstacle sur le chemin initiatique.

Or, une curieuse attitude s’est pourtant développée depuis plusieurs décennies dans les milieux martinistes et néo-coëns en France, s’inspirant des vues personnelles de Robert Amadou (+ 2006) sur cette question, celle s’étant fixée pour but de ramener les disciples de Saint-Martin ou de Martines de Pasqually vers l’Église, ses sacrements et ses dogmes.

Si Pasqually ne s’étendit pas outre-mesure sur le sujet, tout en n’en pensant pas moins, Saint-Martin au contraire ne cacha pas sa pensée. Et cette dernière se résume à ceci : aujourd’hui, dans l’œuvre qui est à accomplir, l’Église et les voies externes ne servent à rien : « Dieu veut nous amener à l’exécution du précepte de l’Évangile sur la prière qui nous dit, quand nous voudrons prier, de nous renfermer dans nos chambres. Car il est bien clair que l’on ne pourra plus guère prier dans les églises des hommes. » (Portrait, 834).

Indulgences II

« On ne pourra plus guère prier dans les églises des hommes… »

On comprend donc pourquoi dans son texte, Jean-Marc Vivenza écrit : « Ceci nous amène à formuler une réelle réserve, quoique amicalement et sans animosité aucune, même s’il nous semble nécessaire que cela soit souligné, à propos de ceux qui furent à l’initiative – et la perpétuent – de faire dire une  «messe» (sic) à la mémoire ou à « l’intention » du Philosophe Inconnu chaque année au mois d’octobre à la date anniversaire de sa naissance au Ciel, sachant les positions plus que critiques de Saint-Martin à l’égard du culte divin « ostensible » utilisant des espèces matérielles et des objets liturgiques fabriqués par la main de l’homme, initiative curieuse donc, qui, si elle participe sans doute d’une pieuse intention, relève cependant, au minimum, d’un évident oubli ou, plus certainement, d’une patente méconnaissance de la véritable perspective saint-martiniste et, objectivement, d’un éloignement manifeste d’avec les analyses, pourtant clairement exprimées par le théosophe d’Amboise, portant sur le caractère profondément discutable de la religion institutionnelle, et le peu de valeur des cérémonies célébrées par l’Église, notamment le rituel eucharistique. » [2]

Et il est vrai. On ne voit pas très bien pourquoi, en prenant l’initiative d’une messe à son « intention » à la date de sa naissance au Ciel, on veut imposer à Saint-Martin après sa mort, ce qu’il refusa de son vivant, et précisément au moment de son retour à Dieu où il ne voulut pas de la présence d’un prêtre à ses côtés.

C’est objectivement une manière de le trahir et de ne pas respecter ses positions sur ces sujets.

Car en effet, Saint-Martin n’a pas besoin que soit célébrée une messe pour honorer sa mémoire ou pour contribuer au repos de son âme, c’est même le meilleur moyen de montrer que l’on a rien compris à sa pensée et son œuvre !

Ainsi, il est clair que les disciples de Saint-Martin n’ont donc pas à « apprendre » ce que Saint-Martin écarta pour de justes motifs. Ils ont surtout à se remémorer ceci, ce qui leur permettra d’éviter bien des pièges, et de se prémunir de l’emprise d’une classe sacerdotale cherchant à prendre autorité sur l’initiation : « Ce sont les prêtres qui ont retardé ou perdu le christianisme, la Providence qui veut faire avancer le christianisme a dû préalablement écarter les prêtres, et ainsi on pourrait en quelque façon assurer que l’ère du christianisme en esprit et en vérité ne commence que depuis l’abolition de l’empire sacerdotal…. » (Saint-Martin, Portrait, § 707).

Notes.

1. J.-M. Vivenza, Le Martinisme, Le Mercure Dauphinois, 2006, pp. 222-223. Ce rappel était une réponse à l’affirmation qu’avait formulée en son temps Robert Amadou : « Saint-Martin ignorait, ce qu’est l’Eglise et ce que sont les sacrements », rajoutant : « le disciple de Saint-Martin apprendra ce que Saint-Martin ignorait… » (R. Amadou, in Introduction, Traité sur la réintégration des êtres, Collection martiniste, 1995, p. 37). Ce jugement péremptoire était aussi destiné à Martines de Pasqually dans le passage cité.

2. L'EGLISE ET LE SACERDOCE SELON SAINT-MARTINJ.-M. Vivenza, L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, 2e Partie. La pratique du culte divin au sein du Sanctuaire du cœur, note 4. La Pierre Philosophale, 2013.

La doctrine de la réintégration des êtres : un ouvrage novateur !

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La doctrine de la réintégration des êtres

éd. La Pierre Philosophale, nov. 2012, 224 p.

A propos de l’analyse du site Philosophe Inconnu.com  

Si certains firent reproche à Jean-Marc Vivenza ces mois derniers, avec un sens discutable de l’objectivité et une très grosse dose de mauvaise foi, de constater l’évidente présence des thèses d’Origène chez Martinès de Pasqually, Saint-Martin et Willermoz, ce n’est pas le cas de Dominique Clairembault, animateur du site remarquable consacré au Philosophe Inconnu, qui, tout en soutenant et louant les analyses de Vivenza, regrette même que sa mise en lumière des idées origénistes n’ait pas été étendue à l’ensemble de l’ésotérisme chrétien : « On regrettera toutefois qu’il n’ait pas poussé plus avant sa réflexion en s’interrogeant sur la présence de l’origénisme chez des auteurs tels que Saint-Georges de Marsais, Jacob Boehme, Pierre Poiret, et bien d’autres penseurs de l’illuminisme, chez qui ces idées sont présentes à des degrés divers, et dont l’influence aurait pu parvenir jusqu’à Martinès de Pasqually et ses disciples. »

Voilà qui nous change, fort heureusement, de quelques discours critiques qui se firent entendre à l’annonce de l’ouvrage, sans même l’avoir lu parfois..!

L’axe de l’étude de Vivenza étant centré sur les trois figures majeures que sont Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz, il était normal que l’accent porte principalement sur eux et, comme le fait remarquer justement l’article consacré à La doctrine de la réintégration des êtres : « peu de chercheurs se sont interrogés sur la présence d’éléments rejetés par le christianisme officiel depuis plusieurs siècles dans les textes martinistes, que ce soient ceux de Martinès de Pasqually, de Louis-Claude de Saint-Martin ou de Jean-Baptiste Willermoz. »

C’est pourquoi la réflexion du livre se penche avec une attention plus soutenue sur les théories exposées par les tenants de la doctrine de la réintégration, et montre l’identité des grands thèmes de cette doctrine avec la pensée d’Origène (préexistence des âmes, incorporisation dans la matière, rejet de la chair, vision négative du composé matériel, anéantissement des choses visibles, etc.), identité correspondant aux concepts de base de la doctrine enseignée dans les voies initiatiques issues des trois personnalités fondatrices plus haut citées du XVIIIe siècle.

Ceci a une conséquence, comme le souligne justement Jean-Marc Vivenza : « l’adhésion à leur doctrine représente, non une option du point de vue initiatique lorsqu’on est membre de ses voies, mais relève d’un enseignement spirituel auquel il est nécessaire d’adhérer, faute de quoi on se met soi-même en dehors des critères d’appartenance des Ordres dont le rôle est de préserver les éléments doctrinaux établis par leurs fondateurs. »

C’est ce sur quoi revient  longuement Vivenza dans sa Préface, ayant constaté un éloignement inquiétant d’avec les fondements de la doctrine initiatique, chez quelques uns, heureusement peu représentatifs et participant de cas marginaux isolés, de ceux qui se prétendent membres des systèmes édifiés par Martinès ou Willermoz  :

« Les trois études que nous publions touchant à la doctrine de la matière telle que soutenue par Martinès, Saint-Martin et Willermoz, font apparaître des thèses audacieuses relevant du « mysticisme spéculatif », rendant évidentes des distances importantes avec l’enseignement des confessions chrétiennes, ce qui n’a rien de surprenant au regard des idées du courant illuministe qu’il nous faut considérer et admettre pour ce qu’il est, à savoir une voie initiatique extra ecclésiale possédant son originalité et ses sources propres.

Ces études ont pour but de susciter une certaine réaction et provoquer chez le lecteur, en quelque sorte, une interrogation salutaire en forme de choc, puisque qu’une tendance se manifeste de façon de plus en plus insistante, en l’écrivant et le faisant savoir, visant à récuser les positions de l’illuminisme et à les désigner comme des déviances théologiques et des hérésies dualistes.

Nous avons donc jugé qu‘il était temps de réagir en exposant les fondements théoriques de ces courants relatifs à la doctrine de la réintégration, avant que n’advienne une incompréhension générale en forme de rejet à l’égard de la doctrine initiatique que véhicule les structures issues de la pensée martinésienne. » [1]

Retenons la conclusion de Dominique Clairembault, qui correspond en effet à un sentiment largement partagé par les lecteurs de « La doctrine de la réintégration des êtres » de Jean-Marc Vivenza : « voici un ouvrage novateur, qui ouvre des perspectives intéressantes à ceux qui s’attachent à l’étude des textes de la tradition martiniste. »

Signalons que le livre, déjà épuisé, va faire l’objet d’une nouvelle édition revue et augmentée, à paraître prochainement aux éditions de la Pierre Philosophale.

Note.

1. La doctrine de la réintégration des êtres, La Pierre Philosophale, 2012.

Un projet sectaire au sein des ordres initiatiques….le dogmatisme parasitaire

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On a assez glosé sur ces pages, lorsque le phénomène est apparu, à propos du ridicule d’une posture visant à se présenter ouvertement et se faire connaître sur les réseaux comme « néo-coën », mais en cachant constamment, lorsque questionné aimablement sur le sujet, sa source de transmission et la validité des titres dont on prétend se parer.

Pour nous cette attitude disqualifiante sur le plan initiatique, à laquelle peut se rajouter un travestissement systématique de la doctrine de la réintégration et à l’utilisation de méthodes scandaleuses poussant jusqu’à critiquer un livre sans l’avoir lu plus de trois semaines avant sa publication, fait qu’il n’est plus nécessaire à notre avis de s’intéresser aux délires exprimés par celui qui signe ses risibles hoquets réguliers sous le nom d’un « martinésiste chrétien ».

Toutefois l’occasion de rire ne se présentant pas tous les jours, et le Crocodile n’étant pas d’un caractère morose, nous n’hésitons pas une nouvelle fois à nous amuser face à ce qui en arrive à s’approcher du trouble obsessionnel compulsif (TOC) chez le martinésiste chrétien, qui voit des dogmes partout et cherche absolument à plier les voies initiatiques aux décisions dogmatiques de l’Eglise.

Pourtant le clownesque martinésiste cache derrière son manège un projet dangereux, celui cherchant à soumettre les voies initiatiques au dogmatisme ecclésial.

Ainsi, publiant des extraits d’une lettre que Willermoz adressa à Bernard de Turckheim en octobre 1785, dans laquelle le fondateur du Régime Ecossais Rectifié manifeste, derrière l’attachement à la suprématie universelle du Pape de Rome, de nettes tendances gallicanes, notre martinésiste parvient à déceler, sans doute en utilisant ses dons d’extralucide utilisés, dans les lignes de la missive du lyonnais « qu’au travers des dogmes conciliaires, Jean-Baptiste Willermoz établit les fondements et principes essentiels de la foi chrétienne universelle, qui selon lui devait permettre de rassembler tous les chrétiens. Unicité de foi mais aussi unicité de culte qui en est comme le corolaire » (ouf !)

Comment ? Le lyonnais qui n’a eu de cesse de mettre en garde contre l’oppression de la classe sacerdotale, de prévenir que l’Eglise s’était coupée des enseignements mystérieux depuis le VIe siècle, d’inviter à se méfier des esprits sectaires, se révèlerait dans sa correspondance un autocratique défenseur de la dogmatique conciliaire ?

Voilà qui serait bizarre….par quel sortilège notre néo-coën extralucide parvient-il à affirmer que « Jean-Baptiste Willermoz établit les fondements et principes essentiels de la foi chrétienne universelle au travers des dogmes conciliaires » (sic) ?

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Dans ce passage où notre contorsionniste grimaçant prévient que la « doctrine professée au travers de l’Initiation »  : «Willermoz n’hésite pas à dire que celle-ci est la vérité. Parce que cette doctrine, s’appuyant sur les dogmes et principes «essentiels » de la communion romaine, ne peut que mener à la vérité » (sic).

Or, dans ce passage, Willermoz en catholique romain aimant les formes de sa religion ne parle absolument pas de dogme, il s’adresse simplement à un réformé pour lui parler de l’excellence « des secours et consolations attachés à la messe ; aux sacrements, et principalement aux deux plus utiles la confession et celui des mourants ; à l’intercession de la Vierge Marie mère de Dieu et des saints et à la puissante protection des saints anges gardiens, dont les hommes éprouvent journellement de si grands secours.(…). » Concluant que « plusieurs églises protestantes se réuniraient à la croyance de la communion romaine si cela pouvait se faire sans s’unir à la cour de Rome, pour laquelle on conserve un juste et invincible ressentiment qui rend toute union impraticable tant qu’elle ne se réforme pas dans ses ambitieuses prétentions et qu’elle ne fera pas des sacrifices qu’elle ne veut pas faire. » (Jean-Baptiste Willermoz, lettre à Bernard-Frédéric de Turckheim, octobre 1785).

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Alors où le néo-coën voit-il que Willermoz dans ces lignes n’hésite pas à dire que la « doctrine professée au travers de l’Initiation est la vérité, parce que s’appuyant sur les dogmes » ? Mystère ?!

Pas une ligne, pas une seule virgule dans ce passage comme dans toute cette lettre, sur la prétendue identité ou conformité entre la « doctrine professée au travers de l’Initiation » et les dogmes.

Et pour cause car à aucun moment n’est abordé le sujet !

Ce que souligne Willermoz à Turckheim, qui comme tous les réformés rejette la papauté et les abus de la cour de Rome, c’est que pour lui le concile est supérieur au Pape en matière de vérités portant sur la foi. C’est tout et pas plus. Ce en quoi d’ailleurs Willermoz se montre gallican et janséniste, puisque c’est exactement ce que pensaient les courants en sympathie avec les idées de Port-Royal au XVIIIe siècle.

En revanche lorsqu’il parle de la « doctrine professée au travers de l’Initiation », Willermoz le fait en des termes vagues et généraux : « Vous aviez été frappé , comme je l’ai déjà dit, du caractère de vérité de la doctrine de l’initiation, de l’immense étendue et multiplicité des objets qu’elle embrasse, de l’enchaînement ravissant de toutes ses parties qui fournit une preuve de plus de la vérité et du prodigieux moyen qui a été employé pour nous en gratifier et pour éclairer par elle peut-être le monde entier… » (Ibid.).

Mais ce qui est intéressant, c’est que lorsque Willermoz aborde avec Turckheim le sujet du christianisme et des vérités de foi, au moment où il pourrait en profiter pour dire leur identité avec les dogmes, alors son discours relève de l’approche intérieure des vérités chrétiennes, d’une manière totalement éloignée du dogmatisme : « Par l‘heureuse et journalière expérience du chrétien, tout raisonnement sur les matières de foi est nul s’il n’est vivifié par la vie de la vérité, et doit se taire devant le sentiment intime qui est le caractère essentiel de cette vérité pour tout homme qui la cherche avec soumission et sincérité. Laissez-les donc, mon bon ami, s’égarer dans leurs raisonnements, et ayez le courage d’en appeler dans le secret de votre propre expérience ; elle ne vous trompera pas, si vos intentions sont pures et votre volonté bien soumise. Et c’est alors que vous trouverez dans vous-même la règle certaine de votre foi. » (Ibid.).

Avons-nous bien lu ?

Willermoz loin de professer la valeur du dogme, soutient :

« Tout raisonnement sur les matières de foi est nul s’il n’est vivifié par la vie de la vérité, et doit se taire devant le sentiment intime qui est le caractère essentiel de cette vérité pour tout homme qui la cherche avec soumission et sincérité… »

Voilà la position réelle de Willermoz, sa conviction est que tout raisonnement en matière de foi est nul si non vivifié par la vie de la vérité.

Mais poursuivons.

Ces raisonnements pour le fondateur du Régime rectifié doivent se taire devant quoi ?

Voici la réponse : « Devant le sentiment intime qui est le caractère essentiel de cette vérité pour tout homme qui la cherche avec soumission et sincérité… »

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C’est très clair, pour Willermoz, tous les raisonnements en matière de foi doivent se taire devant le sentiment intime !!

C’est en parfaite cohérence avec ce que soutient tout le courant illuministe, à savoir que « Dieu est sensible au cœur», et qu’il n’y a, et ne peut avoir, aucun critère dogmatique dans cette rencontre intime avec la vérité chrétienne.

Et Willermoz va même plus loin, il intime l’ordre de silence absolu devant la rencontre intérieure, en des termes que n’aurait pas désavoué Saint-Martin : « tous les raisonnements en matière de foi doivent se taire devant le sentiment intime » !

Comment donc ne pas rester effaré, saisi, choqué devant les affirmations mensongères du martinésiste chrétien obsédé par le dogme, qui n’hésite pas à trafiquer les textes, lorsqu’on lit ceci dans sa conclusion : « Notre seul objectif était de mettre en lumière les principes et fondements spirituels « essentiels » de la Doctrine de l’Initiation de la Grande Profession de l’Ordre Rectifié….et quel meilleur moyen que de simplement se référer aux écrits mêmes du rédacteur de cette doctrine, Jean-Baptiste Willermoz, qui nous révèle que….la doctrine de l’Ordre ne peut ainsi s’éloigner des dogmes de l’Eglise. »

Or précisément Willermoz ne révèle strictement rien dans sa lettre, ne souffle pas un mot sur les principes et fondements spirituels « essentiels » de la Doctrine de l’Initiation ! D’autant que la pensée véritable du patriarche lyonnais, largement connue de ceux qui s’intéressent à ces questions, est exactement le contraire, puisqu’il affirme que les secrets de la Grande Profession : « Les ministres de la religion traitent de novateurs tous ceux qui en soutiennent la vérité. » (Lettre de Willermoz à Saltzmann, mai 1812).

On ne saurait donc travestir plus mensongèrement la pensée de Willermoz qui à aucun moment ne soutient dans cette lettre, comme dans l’ensemble de ses écrits, que « la doctrine de l’Ordre ne peut ainsi s’éloigner des dogmes de l’Eglise », ou comme on peut le lire encore, qu’elle « est nourrie essentiellement des dogmes conciliaires reconnus par toutes les Eglises ».

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Là c’est du pur délire interprétatif !

On est vraiment en présence d’une mauvaise foi outrée, d’un comportement pharisaïque, d’une vision partisane clairement affichée, et surtout d’un très gros mensonge à visée manipulatrice !

C’est du grand n’importe quoi, mais un n’importe quoi mis au service d’un projet, celui de soumettre – par l’effet d’une grossière manœuvre des textes qui disent pourtant le contraire – la « doctrine de l’initiation » à la dogmatique de l’Eglise.

Et ce projet apparaît au grand jour avec une acuité saisissante mais également extrêmement inquiétante. Car le souhait d’enfermer l’esprit des frères dans un mode de pensée dogmatique bien éloigné par nature de l’approche initiatique, se manifeste d’une façon évidente dans les commentaires de cette lettre de Willermoz à Turckheim, révélant le projet auquel travaille une tendance sectaire au sein des ordres initiatiques, qui s’y est installée et cherche à s’y maintenir de manière parasitaire.

Combien plus juste, plus douce et bienfaisante la position de Willermoz, qui se résume à ces mots : « Tous les raisonnements en matière de foi doivent se taire devant le sentiment intime » ! 

Constant Chevillon admirateur de Jacob Boehme

On relira avec intérêt les analyses de Constant Chevillon (1880-1944), qui fut Grand Maître de l’Ordre Martiniste, ayant été inhumé aux côtés de Jean Bricaud (1881-1934) dans le cimetière de Francheville-le-Haut dans le lyonnais, et dont l’orientation métaphysique montre la grande subtilité de son esprit.

Dans un texte où Chevillon se penche sur la question de l’être et du néant, il met en lumière l’apport fondamental de Jacob Boehme, qu’un récent ouvrage portant sur le martinisme relègue pourtant étrangement au rang des maîtres secondaires.

 Nous croyons donc utile de faire bénéficier aux fidèles lecteurs du Crocodile, des réflexions précieuses de Constant Chevillon :

 « Les Kabbalistes ont dit: Aïn-Soph, horizon de l’éternité; les philosophes agnosticistes : l’Inconnaissable; les spiritualistes et les religions: Dieu. Les uns s’appuient sur la débile raison humaine et indiquent sa limite, les autres sur la révéla­tion et sur la foi; certains mêmes, admettant le concept de Dieu, ne se sont pas embarrassés dans les difficultés, car, pour eux, nous et la nature sommes Dieu et Dieu c’est la nature: ce sont les panthéistes. Pour tous les chercheurs, quelle que soit leur croyance : Aïn-Soph, l’Inconnaissable, Dieu ou la Nature sont des termes qui concrétisent l’origine de l’Etre, des êtres et de tout l’univers visible ou invisible.

Aïn-Soph et Dieu, le même concept sous deux vocables, sont transcendants; on peut reculer dans une certaine proportion la limite de l’Inconnaissable; quant à la Nature, c’est une résultante; son immanence dans le sein des êtres qui la cons­tituent, la rend solidaire de leurs métamorphoses, de leur vie et de leur mort; il est bien difficile, sinon impossible, d’intro­duire dans son essence une notion de transcendantalité sans faire immédiatement appel à quelque chose qui la surpasse et à laquelle elle se trouve, ipso facto, subordonnée.

Pouvons-nous, non pas outrepasser ces données prises dans leur sens absolu, mais les suivre assez loin pour comprendre leur raison d’être; non pas pénétrer leur essence intangible, mais analyser le secret de leur existence, racine radicale de la nôtre, pour apaiser notre soif de savoir et mettre fin à l’innommable angoisse?

Beaucoup ont essayé, aucun n’est parvenu à une solution éclatante. Nul pourtant ne paraît s’être enfoncé aussi profondément dans l’insoluble problème que le cordonnier auto­didacte et quasi illettré, Jacob Böhme. Au chapitre II de son « De Signatura Rerum », il dit : « Par delà la nature, se trouve le Rien, silence et repos éternels. De toute éternité, au sein de ce Rien une volonté s’élance vers quelque chose. Ce quelque chose qu’elle convoite, c’est elle-même, puisqu’il n’y a rien, sinon elle-même« .

Avec cette idée, sommes-nous au terme de toute métaphysi­que ou, seulement, à une étape de la pensée vers une solution qui se dérobe? Ce Rien n’est pas le néant, puisque dans son sein il y a une volonté; une volonté sans aucun doute obscure, mais qui s’affirme néanmoins par son désir d’elle-même. Ne faut-il pas faire ici, du Rien, du Néant, une entité ténébreuse, proto­type de l’Etre en soi ? C’est bien ainsi, du reste, que l’entend Jacob Böhme, puisqu’il proclame que la Volonté-Désir, le Sulphur, est une Séité, donc, un être ineffable, une essence brute, en quelque sorte, sans aucune spécification particulière. Nous n’a­vons donc pas quitté encore le point crucial de notre pensée, notre angoisse subsiste et s’accroît devant l’abîme sans fond ou­vert sous nos pieds par le philosophe allemand, lointain ancêtre de 1’hégélianisme contemporain. En effet, pour notre illuminé, la volonté, milieu dans lequel s’éveille le Désir éternel, apparaît comme un feu obscur qui désire la lumière. Le désir, qu’il nomme convoitise, resserre la volonté sur son centre imprécis, puis­qu’elle n’a rien à convoiter qu’elle-même et c’est la fixité ou, dans le langage de Böhme, 1’astringence. Mais le désir déchaîne aussi le mouvement et c’est l’expansion ou tout au moins, la pro­pension à 1’expansivité. Astringence et expansion déchirent la volonté et produisent l’angoisse douloureuse: être ou ne pas être d’où s’échappe la Nature qui « étant quelque chose, s’oppose au Rien calme et immobile ».

Nous comprenons parfaitement que la Nature puisse être quelque chose, car elle est l’épanouissement du désir en dehors de lui-même. Tout désir doit avoir un objet: il est l’indice d’un manque, d’une pauvreté. Ici, le désir tourne autour de lui-même et se déchire en une dualité idéale qui produit une forme mixte « être-néant », embryon de la nature primitive. Mais qu’est le dé­sir du Rien, du néant ? Celui-ci peut-il désirer le mouvement au sein de son éternelle immobilité ? Peut-être. Le néant désire l’être, l’être repousse le néant, la vie est dans la mort. »

 Constant Chevillon, Du néant à l’être, 1942.