L’analyse que vient de réaliser le CIREM (Centre International d’Etudes et de Recherches Martinistes) du dernier ouvrage de Jean-Marc Vivenza, Louis-Claude de Saint-Martin et les Anges est très intéressante, on y souligne le caractère « utile et nécessaire de l’angéologie saint-martinienne qui diffère notablement des angéologies classiques », expliquant en quoi, « la traversée des formes dualistes permet d’atteindre la conscience non-duelle originelle avec une excellente intuition, « lorsqu’est fait référence aux « deux néants » de Maître Eckhart. » Tout ceci est vrai et fort bien dit.
Mais il était à prévoir que les sévères critiques formulées par Jean-Marc Vivenza à l’encontre des sources magiques du prétendu « culte primitif » coën fassent réagir. Pour notre part nous considérons ces réactions comme un bien, car ce qui est mis en lumière dans l’Appendice de l’ouvrage : « Le De circulo et ejus compositione et le culte primitif, Nature de la véritable « réconciliation » et but réel des travaux des élus coëns », est tout simplement renversant !
C’est un éclairage qui contribue, plus encore, à comprendre la raison de l’éloignement de la théurgie par Saint-Martin.
Contrairement au CIREM, dont nous apprécions en règle générale les analyses, nous ne pensons pas que l’argumentation de Jean-Marc Vivenza, « puise dans la théologie et se révèle dogmatique dans son expression ». L’argumentation relève surtout, à la suite des avertissements formels de Saint-Martin qui jugea ces méthodes inutiles et dangereuses, d’un examen serré de ce qu’est en réalité la théurgie de Martinès présentée comme le « culte que le mineur a à célébrer pour sa réconciliation », soit une simple réadaptation finalement des pratiques de magie naturelle, astrale ou divinatoire, voire des cultes de bougies ou de sortilèges, préconisés par les grimoires médiévaux afin de s’approcher du ciel pour y chercher la réconciliation, ce qui est une totale aberration !
Jean-Marc Vivenza, en parfaite continuité du Philosophe Inconnu rappelle donc, quitte à déplaire : « Saint-Martin, dont les connaissances christologiques étaient bien plus étendues que celles de son premier maître, et qui savait que le « christianisme est l’esprit même de Jésus-Christ dans sa plénitude », comprit rapidement que les méthodes de Martinès n’étaient que du « remplacement » (Lettre à Kirchberger, 12 juillet 1792), ce qu’il ne manqua pas d’affirmer avec la fermeté que l’on sait à ceux des ses frères qu’il voyait se fourvoyer encore grandement dans des voies contestables, périlleuses et réellement peu recommandables. » (Louis-Claude de Saint-Martin et les Anges, De la théurgie des élus coëns à l’angélologie saint-martiniste, Arma Artis, 2012).
Le travail de Jean-Marc Vivenza s’inscrit parfaitement dans l’esprit de Saint-Martin, il est évident qu’il tranche avec la confusion qui présida depuis des années dans une tentative maladroite cherchant à conjuguer l’inconciliable car il y a bien une opposition réelle entre les méthode externes et la voie selon l’interne. Il ne sert à rien de se le cacher ! Et sur ce point, Vivenza, dont les positions ne sont pas nouvelles si l’on prend la peine de lire ce qu’il publia depuis plusieurs années, s’écarte en effet de Robert Amadou comme de bien d’autres. C’est un fait.
Remercions donc Jean-Marc Vivenza pour le travail de clarification qu’il effectue aujourd’hui, et ces lignes remarquables qui font suite à son texte « Louis-Claude de Saint-Martin et la théurgie des élus coëns » : « Il est fort probable finalement, et c’est sans doute ce qui conduisit Louis-Claude de Saint-Martin à réagir comme il le fit en désignant ces pratiques comme étant « inutiles et dangereuses et dont le principe des ténèbres profite pour nous égarer», que nous soyons alors, si l’on y réfléchit attentivement, avec la théurgie des élus coëns, son culte et ses méthodes invocatoires, en présence d’une sorte de « matérialisme spirituel » vulgaire extrêmement problématique et vraiment discutable car absolument contraire aux critères de la nouvelle loi de grâce ». (Louis-Claude de Saint-Martin et les Anges, De la théurgie des élus coëns à l’angélologie saint-martiniste, Arma Artis, 2012).
Nous rejoignons néanmoins entièrement le CIREM dans sa conclusion, sans pour autant souscrire à son idée d’une « crispation théologique » chez Vivenza, car c’est une « crispation » dont il faudrait alors accuser Saint-Martin ce qui n’a évidemment aucun sens : « Ce serait toutefois une erreur de rejeter le travail de Jean-Marc Vivenza dans sa totalité, particulièrement quand il traite des conditions de l’initiation. En insistant sur les préalables à toute théurgie il fait un nécessaire rappel. Nous serons probablement d’accord avec lui pour énoncer que le silence est à la fois l’indispensable condition pour opérer et le lieu-même de l’opération qu’elle soit externe, interne ou ultime. De même, il convient effectivement de ne pas s’attarder sur le phénoménal pour tendre vers l’essence mais le phénoménal est une langue à découvrir, à nous de savoir lire. Et oui, il faut s’affranchir des noms pour atteindre au sans-nom. » (CRIREM, « Opérons-donc ! », août 2012).
Pour notre part nous inviterons nos lecteurs à se reporter au texte de Jean-Marc Vivenza « Louis-Claude de Saint-Martin et la théurgie des élus coëns« , pour comprendre qu’elle est la position réelle du Saint-Martinisme, et avant qu’on ne reparle lorsque le temps viendra, de la nature et des sources du « culte primitif ».