Robert Ambelain – Georges Bogé de Lagrèze – Robert Amadou
Les artisans en 1942 / 1943, de la prétendue « Résurgence » des néo-coëns…
Dans le livre qui vient de paraître, « Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, Vie, doctrine et pratiques théurgiques de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers » (Éditions Le Mercure Dauphinois 2020) – véritable somme de 1184 pages portant sur la relation qui se constitua au XVIIIe siècle entre Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, et qui donna lieu, ensuite, à l’édification lors du « Convent des Gaules » (1778), au « Régime Écossais Rectifié » – Jean-Marc Vivenza aborde dans « l’Appendice VI » intitulé : « Les tentatives de « réveil » de l’Ordre des Élus Coëns au XXe siècle : examen des critères de validité des « néo-coëns » contemporains » (pp. 1063 à 1114), la question des « réveils » qui ont été tentés au XXe siècle, pour essayer, après leur disparition en tant qu’Ordre organisé et structuré avant même la Révolution française, de redonner une éventuelle existence aux Élus Coëns.
a) Les tentatives de réveil des Coëns au XXe siècle
Cette question est importante, puisque des deux tentatives de « réveil », si la première à l’initiative de Jean Bricaud (+ 1934), a toujours observé une relative réserve et discrétion, celle dite de la « Résurgence », en 1942 / 1943, au contraire, occupe une place significative au sein des courants initiatiques contemporains, ayant cherché à s’imposer au titre d’une légitimité soi-disant acquise par validation de la « Chose ».
Ainsi, se penchant sur le sujet, Jean-Marc Vivenza montre, dans un examen détaillé, descriptif et documenté, qui est présenté pour la première fois, en quoi cette prétention à la légitimité relève, pour cette prétendue « Résurgence », d’une grossière forgerie aux allures d’objective « escroquerie » sur le plan initiatique.
Après avoir mis en lumière, de façon décisive et assez sévère (pp. 1063-1076), les énormes contrevérités énoncées par Robert Ambelain (1907-1997), dit « Aurifer » de son nomen néo-coën dans un navrant opuscule publié en 1948 qui critiquait vertement la confusion entre « Grande Profession rectifiée et Élus Coëns » [1], à propos de la première initiative de Jean Bricaud, ce dernier s’étant appuyé sur la qualité de Grand Profès, tout à fait authentique et renseignée d’Édouard Emmanuel Blitz (1860–1915), qui fut reçu au sein du Collège de Genève le 21 février 1899 [2], après quoi Jean-Marc Vivenza se penche sur la seconde tentative de « réveil » des Coëns, entre 1942 et 1943, sous le nom de « Résurgence », à l’initiative de Georges Bogé de Lagrèze (1882-1946), Robert Ambelain, déjà cité, et Robert Amadou (1924-2006).
b) La pseudo « Grande Profession » de Georges Bogé de Lagrèze
Jean-Marc Vivenza écrit : « Le paradoxe le plus extravagant dans cette histoire des tentatives de « réveil » des Élus Coëns au XXe siècle, c’est que c’est précisément sur la même et identique « confusion » entre « succession cohen et succession de la Grande profession du Régime Écossais Rectifié », qu’allait s’appuyer la seconde tentative, s’autoproclamant ensuite du nom de « résurgence », à l’initiative de Georges Bogé de Lagrèze, Robert Ambelain et Robert Amadou, à Paris, en pleine période de l’Occupation en deux temps, en 1942 et 1943, la Charte de cette dite « résurgence », en date du vendredi 3 septembre 1943, s’appuyant, pour valider ce soi-disant « réveil des Coëns », sur la qualité de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte et surtout de Grand Profès de Lagrèze, comme le fait apparaître son diplôme de Grand Maître de cette recréation. Ainsi la « résurgence », comme l’expliquait Robert Ambelain satisfait de ce rattachement de la « résurgence » via la Grande Profession de Lagrèze : ‘‘possède du moins une filiation initiatique régulière et incontestable, qu’elle peut prouver, depuis J.B. Willermoz derrière lui Martinez de Pasqually, par le canal des « Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » ; il est certains faits qui, dès l’origine de la Résurgence de 1943, vinrent confirmer le bien-fondé et la valeur (sinon la régularité) de cette filiation « Willermoziste » au sein des Elus-Cohen ainsi reconstitués. Ce fut le Frère Georges Bogé de Lagrèze qui fut à l’origine de cette renaissance de l’Ordre. Or, il était Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte membre du Grand-Prieuré des Gaules [3].’’ » (pp. 1079-1081).
Jean-Marc Vivenza constate immédiatement la difficulté, plus que problématique, de l’argumentaire de Robert Ambelain, puisque si Blitz fut bien Grand Profès, Bogé de Lagrèze lui était un pseudo C.B.C.S., uniquement « de papier » car sans jamais avoir été « armé » par quiconque, et a menti sur ses qualifications : « Tout ce discours, en forme d’épître hagiographique, était bien gentil, sauf qu’il dissimulait un gros problème – outre la même confusion entre Grande Profession et Ordre des Élus Coëns déjà mentionnée, confusion tout à fait identique entre les deux initiatives de « réveil », et on ne voit pas pourquoi le vice du raisonnement dénoncé chez Bricaud en 1924 serait devenu vertu par magie, lorsque soutenu en 1942 et 1943 -, c’est que si Blitz avait été un authentique Grand Profès, Lagrèze quant à lui, contrairement à ses affirmations, ne fut jamais admis dans la classe secrète, ce mensonge entraînant de nombreuses conséquences problématiques, dont la fabrication, plus tard, ex-nihilo, d’une pseudo Grande Profession par les soins de Robert Ambelain, Grand Profession qui se répandit ensuite de façon anarchique à la marge du Régime Rectifié, et y demeure d’ailleurs toujours, bien que dénuée de toute validité. » (p. 1081)
c) Auto-proclamation de la légitimité illusoire de la « résurgence »
Poursuivant son examen des prétendues « qualifications » de la « Résurgence » néo-coën, Jean-Marc Vivenza souligne fort justement : « On le voit, la pseudo Profession de Lagrèze, dont on fit ensuite dépendre la légitimité des transmissions issues de la « résurgence » de 1943, et des lignées, aujourd’hui foisonnantes, des pseudos collèges de pseudos « grands profès » rattachés à cette source, relevait tout simplement de l’escroquerie initiatique. Pourtant, les acteurs de la « résurgence », dont l’usage de la supercherie ne les faisait apparemment pas frémir, se lançaient ensuite avec une incroyable prétention, dans la rédaction de « Statuts Généraux », dans lesquels on pouvait lire, mêlant de façon invraisemblable et dans une confusion incroyable, filiations Martinistes, de Memphis-Misraïm, et de l’Église Gnostique. » (p. 1084).
Voyant que les bases de cette « pseudo Résurgence » reposaient sur des mensonges, Robert Amadou, qui put vérifier lui-même à Genève le caractère illusoire des allégations de Bogé de Lagrèze, tenta par la suite de corriger le tir et fit appel à un nouvel argument pour essayer de sauver l’initiative de 1943 / 1943.
d) Les difficultés de la « résurgence » de 1943 et la prétendue «grâce de la « Chose »
Ce sont ces essais infructueux de sauvetage de l’escroquerie initiatique dite de la « Résurgence néo-coën », que décrit en détail Jean-Marc Vivenza : « De par la somme importante accumulée des difficultés entourant cette prétendue « résurgence », Robert Amadou tenta, dans différents textes et brochures, certains signés de son nomen initiatique « Ignifer », de trouver une issue aux difficultés, et dont la conclusion, le plus souvent, était la suivante, après avoir montré en quoi l’illusion d’une continuité entre l’Ordre des Élus Coëns et la Grande Profession, détenue par Georges Lagrèze, participait d’un rêve pieux : ‘‘En prêtant contre l’évidence la qualité de Grand Profès à Lagrèze, celui-ci ne pouvait transmettre son éventuelle ‘‘initiation de Grand Profès’’, car on ne devient pas Grand Profès en vertu d’une initiation individuelle, mais par l’agrégation à un collège de Grands Profès, décidée à l’unanimité de ses membres […] La filiation rituelle des Élus coëns ne saurait se confondre avec la filiation imaginaire des Grands Profès, mais non plus avec aucune autre filiation initiatique de nature rituelle. En l’absence de toute filiation rituelle, s’agissant des Élus coëns, n’est avérée, à l’époque contemporaine, qui remonterait en deçà de cette résurgence [4].’’ Au moins, l’aveu d’Amadou formulé dans cette brochure datant de 2001, quoique tardif et faisant suite à des péroraisons sur l’intervention supposée de la « Chose » qui aurait validé la « résurgence », avait valeur de témoignage et de confession, ce qui ne l’empêchait pas, cependant, de conclure par cette affirmation tant de fois réitérée de façon incantatoire : ‘‘La validité de la résurgence coën […] a été vérifiée sans ambages et dès avant la lettre, en 1942, par la grâce de la chose, qui ne se démentit point par la suite. La filiation rituelle issue de cette résurgence en tire sa propre validité [5].’’» (pp. 1087-1088).
e) Les délirantes justifications de Robert Ambelain et Robert Amadou
Jean-Marc Vivenza s’interroge alors non sans raison : « Pourtant, de quelle grâce de la « Chose » s’agit-il ? Amadou révèle que le 24 septembre 1942, à minuit, « des grandes opérations d’équinoxe, selon la tradition de Martines de Pasqually [6]» furent organisées […] Le 7 avril 1943, date équinoxiale en cette année-là nous est-il dit, la même procédure fut reproduite par laquelle des « passes » sensibles se manifestèrent de nouveau aux opérants. Admettons. Mais, posons-nous la question, quel rapport ces « passes » – si « passes » il y eut car on peut toujours mettre en doute la valeur de ce type d’impressions subjectives obtenues par des rituels nocturnes tirés de sources éparses composés d’invocations dirigées vers des entités mal définies -, ont-elles à voir avec une confirmation de la justesse d’un projet visant à réveiller l’Ordre des Coëns disparu au XVIIIe siècle ? Strictement aucun, car du point de vue des critères traditionnels sur le plan initiatique, tout ceci participait de la simple croyance collective, pouvant aisément s’abuser et être abusée, en une supposée intervention surnaturelle, mais dont nul n’était en mesure, faute de posséder les qualifications requises, de déterminer la nature, intervention qui pouvait donc parfaitement être soit bénéfique soit maléfique, provenir de n’importe quelle origine psychique fantasmatique voire surgir, par les invocations prononcées de façon aveugle sans les précautions requises, de l’action de créatures immatérielles dérangées des régions où elles sommeillent, et signifier tout autre chose que ce que l’on imaginait y voir ; en réalité personne n’en savait rien. » (p. 1089).
Continuant son questionnement Jean-Marc Vivenza explique alors : « On apprendra simplement par Ambelain, qu’un « oracle astral » aurait communiqué en 1943 des phrases teintées de doctrine martinésienne. » Cependant, à leur lecture, il est identiquement difficile de prêter à cette communication transmise par un « oracle astral », une quelconque autorité capable de valider le projet relativement ambitieux, en quoi consistait cette volonté de résurgence de l’Ordre des Coëns. On est donc dans des régions psychologiques voisinant avec l’autojustification à visée intentionnelle, s’appuyant, pour en légitimer la réalisation, sur la revendication de la manifestation de phénomènes non probants, c’est-à-dire, pour être clair, en plein rêve, que l’on désignera, par bienveillance, de « rêve pieux ». Toutefois ce « rêve pieux » – faute de mieux et devant la dure réalité des évidences mettant en lumière les arrangements avec la vérité du duo Lagrèze/Ambelain -, qu’on présenta volontiers, et dans une foule de textes, sous les traits d’une sincère intention pour conférer une hypothétique légitimité à cette « résurgence », ainsi qu’aux groupes et chapelles néo-coëns qui s’en revendiquèrent après cette date, participe pourtant d’aspirations que l’on pourrait dénommer, au minimum, de « délirantes », et qui sont le plus souvent discrètement passées sous silence, bien que méritant d’être rappelées, puisqu’ayant été mises en avant en 1943 par Bogé de Lagrèze dans la « Charte de Reconstitution et de Réveil de l’Ordre des Chevaliers Elus-Cohen de l’Univers », avec pour « considérant » préliminaire le [second] point suivant [parmi les quatre] : « […] 2°) Le fait que ces Opérations permettent d’assurer une purification régulière de l’Aura Terrestre et faire échec aux courants maléfiques issus du Cône d’Ombre et manipulé intentionnellement par ses satellites [7]. » (pp. 1089-1090).
f) La « Résurgence » néo-coën entreprise dénuée de légitimité
Le jugement de Jean-Marc Vivenza au sujet de cette « Résurgence » est en conséquence sans appel, rigoureux mais cohérent au regard des critères initiatiques authentiques : « On est donc en présence, lorsqu’on prend connaissance des [justifications], sous prétexte d’une prétendue « résurgence » des Élus Coëns en 1943, de ce qui s’apparente objectivement à une fable singulièrement problématique, dont les effets nocifs n’ont eu de cesse de polluer un milieu initiatique assez perméable en la matière, et souvent peu regardant sur les critères de crédibilité, le dit Ambelain étant allé ensuite jusqu’à forger une pseudo « Grande Profession » factice avec un rituel de son invention, en s’appuyant sur la transmission imaginaire de Lagrèze [8], se proclamant, de plus, le « Grand Souverain » d’un Ordre « néo-coën » jusqu’à ce que Lagrèze, décide de se démettre de cette charge dès le 8 mai 1945, prenant conscience que la plaisanterie était sans doute allée un peu trop loin. « (p. 1098).
g) Les fables en forme de contes de fées de « l’influx sui generis »
Après avoir présenté les différents épisodes qui se succédèrent au titre de cette « Résurgence » des néo-coëns suite au retrait de Robert Ambelain en 1968 (pp. 1098-1101), Jean-Marc Vivenza nous dit : « Des initiatives se mettant sous le patronage spirituel de Robert Amadou et se réclamant d’un « judéo-christianisme » se voulant fidèle, du moins en intention, à Martinès, tout en déclarant, pour certains, souhaiter poursuivre la « christianisation des coëns » dans l’esprit des leçons de Lyon (sic), en s’accompagnant d’une nette tendance à la séduction pour les formes cultuelles de l’orthodoxie à l’imitation de leur guide, apparaîtront à partir du milieu des années 1980, puis surtout de la décennie 1990 et au début des années 2000 […] Cependant, face au refus de Robert Amadou, qui ne ménageait pas en privé ses vives critiques sur ce qu’il était advenu de la résurgence, d’accepter de conférer des transmissions à ces « néo-coëns » qui se baptiseront, faute de mieux, « de désir », ces micros chapelles, avant même le retour au ciel « d’Ignifer » en mars 2006, ce qu’il n’appréciera guère d’ailleurs, se verront contraintes de se tourner, soit vers Ivan Mosca « Hermete », soit vers la branche brésilienne de l’O.M.S., provenant de Bentin, ou encore par la suite, vers d’autres relais occasionnels au gré des circonstances et des opportunités, pour obtenir un rattachement avec le réveil de 1943, voyant ainsi se refermer sur elles, inévitablement, le piège des sources originelles douteuses et entachées d’invalidité sur le plan initiatique de la résurgence. C’est à cette période que l’on vit toutefois apparaître un nouveau type d’argument, à vue immédiate plus subtil que les revendications à la légitimité formulées par Robert Ambelain dans l’immédiat après 1943 et jusqu’en 1967, que beaucoup voyaient s’effriter devant l’évidence des faits, dont Robert Amadou fut à l’origine, consistant à invoquer, pour légitimer la résurgence, sa confirmation par des signes probants de la « Chose ». Il apparut ainsi qu’Amadou, qui avait varié assez souvent dans la recherche des justifications visant à légitimer la résurgence, n’hésitant pas à utiliser plusieurs méthodes rhétoriques différentes, à l’occasion de la publication de textes destinés à des dictionnaires et encyclopédies maçonniques, se mit à faire allusion à l’existence d’un « influx sui generis » agissant dans le cadre des Coëns, dans lequel certains ont cru pouvoir trouver une caution pour valider leur propre entreprise visant à se revendiquer de l’Ordre éteint, et se déclarer dès lors « néo-coëns de désir », en oubliant un peu vite, que l’activation de cet « influx » répondait à des critères bien définis, qu’Amadou lui-même tint à préciser : « Suivant l’enseignement et la pratique constante de Martines de Pasqually, premier grand souverain connu de l’Ordre dit, en abrégé, des Elus Cohen, on tiendra pour acquis : l’entrée et le progrès dans l’Ordre s’effectuaient par la communication d’initiateur(s) qualifié(s) à récipiendaire qualifié (et, au cas du degré suprême de Réau-Croix, d’ordinant(s) qualifié(s) à ordinand qualifié, selon des modalités différentes et successives correspondant aux grades hiérarchiques, d’un influx sui generis ; toutes réserves faites sur l’origine et la nature de cet influx [9].» On le voit, dans l’esprit d’Amadou, il s’agissait d’un « influx » certes, « sui generis » également, mais se transmettant « d’initiateur(s) qualifié(s) à récipiendaire qualifié », et il n’était pas question d’un pouvoir fluidique, ou d’un « influx », provenant d’on ne sait où et pouvant être revendiqué par n’importe qui, installé dans son salon, l’amenant à s’autoproclamer à qui voudra bien l’entendre, élu coën, Grand Architecte, Réaux-Croix et pourquoi pas Grand Souverain tant qu’on y est ; il y a des critères à respecter et ceux-ci relèvent des règles traditionnelles de transmission, « d’initiateur(s) qualifié(s) à récipiendaire qualifié », en l’absence lesquelles règne la plus totale anarchie, chacun pouvant se croire autorisé lorsque les principes sont oubliés, à s’imaginer ceci ou cela selon son bon vouloir. » (pp. 1101-1104).
Conclusion : la « Résurgence » des néo-coëns relève de l’escroquerie initiatique
La conclusion de Jean-Marc Vivenza, après le long rappel des éléments exposés de cette contrefaçon ayant allure d’authentique supercherie portant le nom de « Résurgence », est donc sans appel : « Ainsi donc, et concrètement, en fait de « néo-coëns de désir », lorsque ceux-ci se réfugient derrière l’invérifiable « grâce d’une filiation spirituelle vérifiée » (sic), ou la fumeuse manifestation d’un « influx » évanescent pour se prévaloir du « réveil » légitime de l’Ordre – ce type d’auto-certification obtenue à peu de frais (de par l’absence depuis deux siècles, d’émules qualifiés capables de poser un verdict autorisé sur ces phénomènes, en sachant discerner ce qui relève des dispensations célestes des artifices trompeurs), n’ayant que peu de poids -, se retrouvèrent finalement, par cette antique technique de « l’oracle » à qui l’on peut faire dire tout ce que l’on veut sans risquer d’être contredit, dans la situation classique tant de fois constatées des victimes volontaires et consentantes de leurs illusions, se livrant à une projection imaginaire de leur propres « désirs » […] On appréciera en conséquence à sa juste valeur – après ce que nous venons de voir comme participant d’objectives approximations en matière d’initiation, s’accompagnant ensuite de forgeries de la part des acteurs de la « résurgence », suivies des impressions sensibles des « néo-coëns de désir » contemporains -, la complaisance avec laquelle on ose encore considérer les évidentes limites de ce qui s’apparente à une rêverie chimérique pouvant prendre une place de choix dans l’histoire, pourtant déjà bien remplie, des canulars maçonniques, comparativement à la sévérité de jugement vis-à-vis de l’initiative de Jean Bricaud [10], et l’art consommé de l’histoire romancée mis au service de ce pseudo « réveil », quoique ressemblant fort à une authentique contrefaçon initiatique, qui aurait eu le pouvoir, par une faculté mystérieuse accordée à la période de l’Occupation allemande à Paris, de « métamorphoser » (sic) des « Élus coëns putatifs en néo-coëns » trois personnages dépourvus des qualifications requises pour se lancer dans une telle entreprise » [11] […] cette seconde initiative de réveil des Coëns, qui, si elle s’autoproclama « résurgence », cela fut surtout pour faire « ressurgir », hélas, des comportements très éloignés des principes initiatiques, mêlés à des fantasmagories imaginaires en tous genres, des aspirations à pouvoir se lancer dans la pratique de la magie cérémonielle et la théurgie active, s’accompagnant de la construction d’improbables qualifications suivie de la distribution généreuse de divers titres et charges « néo-coëns » […] C’est donc avec étonnement qu’on lira ces lignes de Robert Amadou : « L’Ordre des Élus coëns a été réveillé, par la grâce d’une filiation spirituelle vérifiée, en 1942-1943 : Georges Lagrèze (1943-1946), puis Robert Ambelain (1946-1967), Grands Maîtres; Ivan Mosca, Grand Souverain, à partir de 1967. Des frères opèrent, seuls ou en groupes, dans l’autonomie, tous issus de la même résurgence [12]», ceci montrant d’ailleurs, qu’en cherchant à donner l’apparence d’un semblant de validité à la « résurgence », on aura pu en réalité, attitude qui fit école, dissimuler objectivement une volontaire cécité aboutissant à une incapacité à énoncer les criantes limites en matière d’authenticité initiatique d’une telle aventure rocambolesque. » (pp. 1108-1113).
*
Le verdict énoncé par Jean-Marc Vivenza, en dernière ligne de cet « Appendice VI », étude fondamentale pour la connaissance précise du monde initiatique contemporain, ce dont il faut le remercier vivement, participe d’une rare lucidité :
« En ce monde, ce qui fut, a disparu et n’est plus,
ne revient jamais :
“A posse ad esse non valet consequentia” » (p. 1114).
Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz
Commande du livre :
Le Mercure Dauphinois, 2020, 1184 pages.
Notes.
[1] R. Ambelain, Le Martinisme Contemporain et ses véritables origines, Les Cahiers de DESTINS, Paris, 1948 (réédition Signatura, 2011). Jean-Marc Vivenza fait pertinemment remarquer, à propos de ce livre de Robert Ambelain et des assertions aberrantes qu’il contient à l’égard de Jean Bricaud, le jugement pour le moins tendancieux de Serge Caillet : « Ainsi, prétendre que Robert Ambelain (1907-1997) dit Aurifer, en 1948, aurait « produit des arguments décisifs qui viennent contredire les arguments de Bricaud » (S. Caillet, « Il était une fois les Élus coëns de désir », in Bulletin de la Société Martinès de Pasqually, n° 29, 2019, p. 78.), relève d’une curieuse interprétation des faits et d’un rapport pour le moins étrange avec la cohérence historique… » (Cf. J.-M. Vivenza, Martinès de Pasqually et Jean-Baptiste Willermoz, op.cit., p. 1068).
[2] Cf. « Registre du Collège Métropolitain de Genève », in A. Bernheim, Une histoire secrète du Régime écossais rectifié, Genève, Slatkine, pp. 216-217.
[3] Cf. Sâr Aurifer, L’Ordre des Elus Cohen et sa Filiation par, n.d..
[4] R. Amadou, La Résurgence, notice historique, CIREM, « Carnet d’un élu coën », 3, 2001, p. 6.
[7] Cf. Charte de Reconstitution et de Réveil de l’Ordre des Chevaliers Elus-Cohen de l’Univers, 1943.
[8] Ce rituel fantaisiste, dans lequel on fait figurer un autel où est placé un masque posé à la croisée des lames de deux glaives, le tout encerclé par une cordelière rouge disposée en « lacs d’amour, ses deux extrémités nouées par un noeud de carrick » (sic), est le pur produit de l’imagination de Robert Ambelain, se situant à une immense distance du climat extrêmement dépouillé emprunt d’une rigoureuse sobriété et étroitement doctrinal de la classe secrète fondée par Willermoz. On pourra se reporter sur ce sujet, quoique la divulgation des rituels et manuscrits ne soit pas conforme aux règles et principes de la Profession, à : « La Grande Profession, documents et découvertes, le Fonds Turckheim », Renaissance Traditionnelle, n°181-182, janvier-avril 2016.
[9] R. Amadou, [Martinisme], in D. Ligou, Dictionnaire de la Franc-maçonnerie, PUF., 1991, p. 786.
[10] Robert Amadou ne demeura pas en reste dans le domaine des critiques tendancieuses et outrageusement à charge à l’encontre de Jean Bricaud. (R. Amadou, [Martinisme], in D. Ligou, Dictionnaire de la Franc-maçonnerie, op.cit., p. 787).
[11] En note Jean-Marc Vivenza précise : « Par-delà le fait que Lagrèze, n’était C.B.C.S. que par équivalence et nullement Grand Profès comme il le prétendait, en 1943, Robert Ambelain quant à lui, Apprenti depuis le 26 mars 1939 à la loge « La Jérusalem des Vallées Égyptiennes », au Rite de Memphis-Misraim, Associé de l’Ordre Martiniste Traditionnel en juin de la même année, aurait été reçu Compagnon et Maître les 24 et 17 juin 1940, selon ses affirmations et sans pouvoir en fournir la preuve, dans le camp de prisonniers d’Epinal lors d’une tenue clandestine, puis Supérieur Inconnu de l’O.M.T. en décembre 1940 ; son domicile parisien, 12, square du Limousin, Paris (13e), abritant ensuite les tenues du chapitre de la Loge « Alexandrie d’Égypte », Lagrèze, en raison des conditions de guerre, lui transmit par communication et de façon non rituelle, non sans vivement contrarier Jean Chaboseau, les degrés de perfection du Rite Écossais Ancien et Accepté, et les hauts grades de Memphis Misraïm. Pour ce qui est de Robert Amadou, qui avait simplement bénéficié de la réception du degré de Supérieur Inconnu de l’Ordre Martiniste, avec le nomen d’« Ignifer », en septembre 1942, il était simple Apprenti, reçu par Robert Ambelain le 6 juin 1943, au sein de la loge « Alexandrie d’Egypte ». En résumé, pour « opérer » le réveil d’un Ordre de « Chevaliers Maçons » disparu depuis près de deux siècles, en date du 3 octobre 1943 où fut officialisée la « résurgence », sur le strict plan rectifié, seul canal reliant à Willermoz et de Willermoz à Martinès, un C.B.C.S. de papier, par équivalence administrative, (Lagrèze), et du point de vue maçonnique « apocryphe », un Maître, sans certitude de sa réception, de Memphis-Misraïm, (Ambelain), et toujours venant de Memphis-Misraïm, un jeune Apprenti âgé de 19 ans à l’époque, reçu par Ambelain depuis seulement 4 mois, (Amadou). » (Op.cit., pp. 1111-1112).
[12] R. Amadou, [Élus-coëns], Encyclopédie de la Franc-maçonnerie, sous la direction d’Éric Saunier, Librairie générale française, édition 2000, pp. 249-250.